Je réponds au nom de Jérôme MILLOGO. Je suis originaire du diocèse de Bobo-Dioulasso. Je suis à ma troisième et dernière année ici à La Maison Lavigerie de Ouagadougou, à la première étape de formation en philosophât. Nous (09 personnes) avons foulé le sol lavigerien dans l’après-midi du 09 septembre 2015 dans un climat de joie. Je peux dire que l’accueil était chaleureux. Tout début est important dans une vie d’apprentissage et cela peut déterminer le reste de notre vision de ce que sera notre séjour dans un lieu. Et la mise en confiance est très importante dans la vie relationnelle. Bien vrai que l’accueil fut chaleureux, il en demeurait qu’un certain nombre de questions sur le déroulement de la formation me tourmentaient l’esprit.
À la différence de certaines personnes qui, au bout de quelques mois, avaient la nostalgie familiale ou de la vie lambda, moi, je n’ai pas trop senti cela. Je ne l’ai pas senti en ce sens qu’après la classe de la 3e jusqu’à l’Université, j’ai été physiquement loin des parents. Mais je pensais de temps en temps à mes copains d’Université et à l’ambiance du campus et tout ce beau rêve que j’ai laissé librement pour suivre le Christ.
Pour ne pas aller du coq à l’âne, j’aimerais faire ce partage en cinq points essentiels.
· Sur la vie communautaire
Étant aspirants, nous avons toujours eu écho de la vie communautaire. Les réponses qui venaient toujours sur les lèvres, à la question « qu’est ce qui t’attire chez les missionnaires d’Afrique ? », étaient soit la vie communautaire ou soit le style de vie simple. Cela est bien, mais je me suis rendu compte que la vie communautaire a ses exigences ; elle n’est pas un « menu » déjà fait mais une vie à construire et cela demande la participation et l’effort de chaque membre de la communauté. Sans cette collaboration et cette fraternité, il n’y aurait pas de communauté mais un rassemblement d’hommes. J’ai beaucoup aimé de la vie communautaire et appris d’elle. Un jour, j’ai eu un aveu d’un des frères qui me disait, « Jérôme, tu sais quand nous étions aspirants, j’avais du mal à t’aborder car tu es plus âgé que moi, tu es à l’université et tu as plus d’expérience que moi. Mais depuis que nous avons commencé la formation ici, cette barrière a disparu et au contraire, je vois que tu n’es pas ce que je pensais de toi. » Pour dire que la vie communautaire est une pièce à double faces. Tu peux faire une mauvaise expérience comme tu peux faire une bonne. Et comme je le disais plus haut, la qualité d’une vie relationnelle ou communautaire s’apprécie dès le début car tout premier contact peut marquer quelqu’un toute sa vie soit positivement, soit négativement.
Pour moi, en communauté la vie est faite de gains et de pertes, de joies et de peines, de hauts et de bas – mais nous n’avons pas à les vivre tout seuls. Nous voulons boire à la coupe ensemble et donc célébrer le fait que les blessures de nos existences individuelles, qui paraissent intolérables lorsqu’on les vit seul, deviennent une source de guérison lorsqu’on les vit dans un groupe dont les membres s’occupent les uns des autres. La communauté est une grande mosaïque. Chaque petite pièce a l’air insignifiant. Certaines semblent précieuses, d’autres ordinaires. Quelques-unes donnent l’impression de valoir beaucoup, d’autres rien du tout. Certaines sont de mauvais goût, d’autres paraissent délicates. Telle est la communauté, un regroupement fraternel de petites gens qui, ensemble, font voir Dieu dans le monde.
Pour ma part, je peux dire que j’ai rencontré des moments de peines, de difficultés et des moments de joie et de reussite. Durant ces trois années de formation, j’ai énormément appris de la vie communautaire et amélioré mes attitudes relationnelles. J’ai compris que pour être tout à touset gagner la confiance des autres, seules l’humilité, l’écoute des autres, l’aide et l’attention qu’on leur porte sont très capitales pour une vie relationnelle réussie. Sur ce point, je me réjouis d’avoir fait de mon mieux pour aider mes frères et mes sœurs.
J’ai aussi appris beaucoup d’eux, car l’homme ne se suffit à lui-même. J’ai appris que chacun d’eux comme moi avions une histoire et que le partage de chaque expérience peut être une consolation ou une leçon de vie pour l’autre. J’ai apprécié les présentations individuelles en équipe, qui sont une occasion de connaitre son frère, son tempérament et son environnement familial. Cette connaissance de l’autre m’a permis d’éviter tous préjugés. Cependant, je n’ai pas aimé les mauvaises interprétations ou jugements sur une personne sans connaitre les raisons. Ce que nous oublions, il est plus facile de juger l’autre de l’extérieur sans réellement savoir ce que la personne vit au-dedans d’elle.
· Sur la vie de prière
La prière est une arme fondamentale de la vie chrétienne. Sur cet aspect, je dirais - pas pour me glorifier - qu’elle (la prière) a été mon sport de tous les jours. Je le dis ainsi parce qu’avant et après mes sacrements d’initiation chrétienne, j’ai eu la chance d’appartenir à des groupes où la pratique quotidienne de la prière est de rigueur et c’est par là que j’ai commencé à forger une discipline de prière personnelle. À la Maison Lavigerie, avec les différentes formes de prières, j’ai appris à varier ma gamme de prière. La méditation est un aspect qui m’a beaucoup aidé dans ma vie de prière. Cette expérience de prière acquise dans les groupes, je l’ai fait profiter à la communauté et à des personnes qui en avaient besoin.
Nonobstant cette belle expérience dans la vie de prière que j’ai vécue et que je continue à vivre, il est évident que j’ai traversé des moments de désolation, de sécheresse où il m’était difficile, voire impossible de prier. Tout cela était dû à des événements de la vie à l’interne et à l’externe. Mais comme je le dis toujours, je rends grâce à Dieu pour mes directeurs spirituels qu’il m’a donnés car ils ont été d’un grand secours pour moi afin de relever la pente.
Dans mes moments de désolation, je faisais un long temps de méditation de la situation vécue et une longue révision de vie avant de dormir et comme on le dit si souvent « la nuit porte conseil ». Je vous assure, je me réveillais toujours recréer, remplir de la force de continuer et d’une paix intérieure. Concernant la paix intérieure, c’est un aspect très important dans la vie d’une personne, sans cela il est très difficile de progresser humainement et spirituellement. Ma prière consistait à demander au Seigneur le discernement et l’écoute afin d’avoir une claire vision de ce que je dois faire, d’où la nécessité pour moi d’être attentif à tout ce qui se passe autour de moi.
· Sur la vie intellectuelle
La vie intellectuelle dans le cadre universitaire ne m’était pas étrangère parce qu’ayant fait l’université, j’avais déjà une expérience de vie académique. Pour moi, l’idée était de la continuer dans ce cadre de formation. Cependant le cadre de cette maison de formation est assez différent des autres universités. D’abord, il fallait se familiariser au programme de la Maison en faisant le lien avec les études, l’apostolat, et les activités personnelles. Ensuite, je devais m’habituer aux modalités d’évaluation qui sont différentes de celles de l’université d’où je proviens. Enfin, je devais étudier une autre filière de celle étudiée. Je reconnais que le début n’a pas été facile car j’avais du mal à jumeler les différentes activités. Je remarquais que chaque fin de journée, j’étais vraiment fatigué. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas un temps de repos et que les activités étaient tellement enchaînées.
En fin de compte, j’ai intégré le programme de la formation comme bien d’autres et cela est devenu une partie de moi-même. Les études ici m’ont permis de mettre plus de rigueur et de sérieux à tout ce que je fais. En plus, l’étude de la philosophie m’a ouvert l’esprit dans mes discussions avec des camarades durant mes congés. Ils sont autant surpris de ma qualité d’intervention dans le réalisme et de l’ouverture dans mes propos. J’ai l’habitude dans un débat de laisser parler les autres avant d’intervenir. Il faut le dire l’esprit critique que nous développons en philosophie m’aide dans beaucoup de milieux de vie. Même dans mon groupe de prière, les frères et sœurs sont surpris que je ne mette pas foi à tout ce qui se passe. Je les invitais à ne pas être trop fondamentalistes, ni dogmatiques. J’ai beaucoup aimé les études et mon secret était de faire des résumés des cours trop volumineux.
· Sur la vie apostolique
L’un des piliers qui m’a le plus façonné est l’apostolat. À la Maison Lavigerie, j’ai eu la chance de faire trois types d’apostolat à savoir : l’apostolat de proximité, la rencontre avec les jeunes et la catéchèse. À ma première année quand j’ai commencé l’apostolat de proximité, je l’avais confondu à l’évangélisation porte à porte que je faisais avec mon groupe à Koudougou. Ici, c’est tout autre car l’objectif n’était pas d’aller évangéliser mais d’être proche des gens par notre témoignage de vie. Cet apostolat demande de l’audace, du courage et assez d’humilité. Car il arrive que vous soyez rejetés, frustrés par les gens que vous côtoyez. Nous avons fait des expériences d’injures, de rejet face à certaines personnes. En revanche, nous avons aussi été reçus par des personnes compréhensives. Toutes ces relations m’ont permis de savoir que la mission n’est pas aussi facile qu’on le pense. Et il faut toujours s’attendre à la fermeture des gens mais c’est à nous de les mettre en confiance.
À ma deuxième année, l’expérience était plus intéressante avec les jeunes. La jeunesse est le stade des questionnements, de la volonté de s’affirmer, de connaitre davantage, de construire sa personnalité, etc. C’est cet aspect que j’ai vécu avec les jeunes où je sentais qu’ils avaient réellement le désir de connaitre les enjeux de la vie d’une part et d’autre part la vie de l’Eglise. Lors de mes causeries ou conférences, j’étais noyé par des questions de tous genres. Pour les jeunes, un séminariste est celui qui connait tout. Mais je leur faisais comprendre que j’apprenais aussi par eux et que mon objectif n’était pas de venir leur imposer quoi que ce soit mais tout simplement leur apporter mon expérience et recevoir aussi d’eux. Certains jeunes aiment quand tu te mets dans leur « peau », en essayant de parler leur langage. En fin de compte, j’ai beaucoup appris auprès des jeunes que je ne leur ai donné. Car il ne sert à rien d’aller apprendre aux jeunes ce qu’ils connaissent déjà mais c’est par notre témoignage de vie que nous pouvons les enseigner.
À ma troisième année, j’ai donné la catéchèse. La catéchèse ! Ce n’était pas ma première fois de le faire puisque je l’ai faite quand j’étais au campus avec les jeunes et aussi avec les enfants. Mais cette année, j’ai préféré m’entretenir avec les enfants qui apprennent mieux que les jeunes. À chaque fois que j’ai un groupe de personnes à ma charge, je les amenais à avoir confiance afin que la participation soit active. J’ai cultivé cette familiarité avec les enfants qui leur a donné la pleine confiance de s’ouvrir et d’expliquer librement les difficultés qu’ils vivent en famille et à l’école.
En somme, je peux dire, durant mes trois années de formation à la Maison Lavigerie, que j’ai pu acquérir beaucoup d’expériences dans tous les domaines de la vie. J’ai reçu une formation holistique qui a pris en compte tous les domaines de ma vie. Ma vie au début de mon entrée ici n’est plus la même. Il y a eu beaucoup de changements aux niveaux humain, spirituel et intellectuel et même relationnel. Je me suis fait plein d’amis et d’amies, de bienfaiteurs (trices). J’ai appris à construire ma personnalité, à connaitre l’autre et à l’accepter dans ses forces et dans ses faiblesses. Je pense que c’est en se connaissant et en connaissant l’autre que nous éviterons les jugements non fondés.
Voilà qu’un autre horizon s’ouvre pour moi dans la suite de ma formation missionnaire. Puise le Seigneur me fortifier davantage et me modeler à sa manière.
MILLOGO Jérôme, 3eannée.