Homélie du 8 Décembre (Père Alain Fontaine, M.Afr.)

D’abord belle et sainte fête à chacune et chacun d’entre vous.

Belle entrée au ciel pour nos quatre confrères : Alain, Christian, Jean et Charles qui viennent d’être béatifiés à Oran en compagnie de Monseigneur Claverie et de 14 autres religieux et religieuses. Qu’ils soient désormais nos intercesseurs auprès du Maître de la Moisson. 

 Père Charles Deckers. / Dominique Bar pour La Croix

 Père Jean Chevillard, Père Alain Dieulangard et Père Christian Chessel. / Dominique Bar pour La Croix.

Un jour, un jeune séminariste s’était présenté à Monseigneur Lavigerie comme volontaire pour être missionnaire. Il avait en main une lettre de recommandation de son évêque. Notre fondateur, après avoir lu la lettre, ajouta de sa main trois mots en latin : "Visum pro martyrio" visa pour le martyre. "Êtes-vous d'accord ?" demanda-t-il au jeune séminariste. Et le jeune homme de répondre: "Monseigneur, c'est pour cela que je suis venu." Cent cinquante ans après, ce court dialogue est d'actualité.

Par les apôtres qui portèrent ta Parole de vérité

Par les martyrs emplis de force dont la foi n’a pas chancelé…

Dieu nous te louons, Seigneur nous t’acclamons,

dans l’immense cortège de tous les saints !!!

Si je vous demandais de parler de la spiritualité des Missionnaires d’Afrique ou des Sœurs Missionnaires de Notre Dame d’Afrique, je pense que vous ne seriez pas embarrassés. Mais si je vous demandais : quelle était la spiritualité du Cardinal Lavigerie ? Vous seriez peut-être plus gênés. Pourquoi ? Précisément parce que lui-même était très discret là-dessus et qu’on a peu écrit sur sa spiritualité.

En 1947, un des biographes du Cardinal Lavigerie avait déclaré : « Le livre qui étudiera la spiritualité du Cardinal est encore à écrire. » Bon rassurez-vous, des livres ont été écrits… oh pas beaucoup !!! En tout cas, pas une bibliothèque !!! deux à ma connaissance. Les voici !

En 1958, paraît une plaquette intitulée : « Entretiens sur la vie intérieure du Cardinal Lavigerie ». Ça n’a pas représenté un bestseller dans nos communautés. C’est dommage parce que c’était la première fois qu’on abordait vraiment le sujet. 

Le Père Léo Volker, supérieur général à l’époque, avait écrit dans la préface : « On a beaucoup écrit de livres, de brochures et d’articles sur la grande figure du Cardinal Lavigerie, mais personne, jusqu’ici, n’a entrepris d’aborder sa vie intérieure, pour en montrer la richesse, la profondeur et les caractéristiques. Il y a, semble-t-il, deux raisons à cela. La première est que sa vie a été tellement riche en activités de toutes sortes, que celles-ci ont pu faire oublier la source intime où elles avaient leur origine. La seconde raison est la grande discrétion du Cardinal, pour tout ce qui concernait sa vie intérieure.»

Un autre livre paraîtra en 1997, de notre confrère Dominique Nothomb, décédé il y a 10 ans et enterré à la Maison Lavigerie. Son livre s’intitule : « Le Cardinal Lavigerie - un maître spirituel ». C’est la première fois qu’on lui donnait un tel titre. 

Si l’on parle de spiritualité, on parle bien sûr de l’Esprit Saint. Jésus a promis que le Saint-Esprit nous conduirait « vers la vérité toute entière » (Jean 16,13), ce qui implique de prendre en compte les choses de Dieu et de les appliquer dans nos vies. La véritable spiritualité chrétienne dépend donc du degré auquel un croyant, né de nouveau par le baptême, laisse le Saint-Esprit le conduire et prendre les rênes de sa vie. 

Cardinal Charles Lavigerie

Alors il peut être intéressant de chercher, dans les écrits du Cardinal, où il parle de l’Esprit-Saint et ce qu’il en dit. Il faut admettre que dans le catholicisme du XIX^èmesiècle, le rôle du Saint Esprit est rarement évoqué. Si on lit attentivement « Les Instructions aux missionnaires », on ne trouve que 13 mentions à l’Esprit Saint. Le Cardinal en parle peu mais il sait se laisser conduire par l’Esprit. 

D’une certaine manière, nous avons une grande chance aujourd’hui car notre époque comprend mieux la place de l’Esprit Saint dans la vie de l’Église et dans le monde. 

Le Cardinal était un prêtre diocésain, marqué par ses formateurs qui, au départ, étaient Sulpiciens. Le charisme de cette congrégation, qui date du XVII^èmesiècle, c’est la formation des prêtres dans le cadre des grands séminaires. Leur spiritualité s’inspire des écrits d’un prêtre du XVII^èmesiècle, connu sous le nom de Monsieur Olier. 

C’est une spiritualité sacerdotale très élevée, visant à faire des hommes mûrs d’esprit et de caractère, avec une préférence marquée pour la vie apostolique. Les Sulpiciens vont former des générations de prêtres. Ici même au Burkina Faso, après les missionnaires d’Afrique, en attendant que les abbés puissent leur succéder, ce sont des sulpiciens qui formeront les prêtres à Koumi.

Une spécificité de leur spiritualité, c’est de tout centrer sur le Christ et le Cardinal va retenir cela de ses formateurs Sulpiciens. Un jour il aurait dit à ses missionnaires, avec un grand sérieux : « Mes enfants, il faut être fou de Jésus-Christ, comme je le suis moi-même ! ». 

Quand le Cardinal ouvre le premier noviciat, le 18 octobre 1868, il y a 150 ans, c’est la date de fondation de notre Institut, il aurait dit au Père Vincent, un jésuite : « Des Saints, je veux des saints ! ». En fait, il n’inventait pas cette phrase. Il la reprenait de Monsieur Olier qui, en fondant le Séminaire Saint Sulpice à Paris, avait dit ceci : « Je veux que les séminaristes qui entrent ici deviennent des saints pour que l’Église toute entière devienne sainte. » Cette petite touche montre que le Cardinal avait gardé de solides références au contact des Sulpiciens. Il n’était pas devenu Sulpicien lui-même, mais ces derniers l’avaient beaucoup marqué. 

Père Alain Fontaine, M.Afr.

On sait qu’il avait fait de la charité sa devise. C’est elle qui résume toute sa spiritualité. Quand il est ordonné évêque en 1863, il choisit l’image du Pélican qui nourrit ses petits de son propre sang. Une image eucharistique très forte. En choisissant cette image, Monseigneur Lavigerie voulait déjà donner une dimension missionnaire à sa vie et à son ministère. Son intention était claire : faire de la charité, dans le sacrifice pour les autres, le programme de sa vie. Il ne pouvait pas se réserver cela à lui seul. Il inculquera à ses missionnaires, pères, frères et sœurs la même devise et le même programme. 

Ainsi, la spiritualité du Cardinal pourrait se résumer ainsi : Jésus-Christ au centre de sa vie, l’Esprit du Seigneur, son guide, sa lumière et sa force ; la Charité pour témoigner, partout où il serait envoyé, que le Dieu de Jésus Christ est Amour. Enfin, une manière d’illustrer sa spiritualité, de la rendre crédible, le « Tout à Tous » de Saint Paul.

Il faut aussi parler des grandes figures spirituelles auxquelles le Cardinal était très attachées, ses grands intercesseurs. Et du coup, ils sont devenus les nôtres aussi. Nous avons dit que le Cardinal, à l’école de ses formateurs les Sulpiciens, avait appris à placer le Christ Jésus au centre, au cœur de sa vie. Mais il aimait aussi prier et se confier à plusieurs autres intercesseurs. Il faut placer en premier lieu, la Vierge Marie, Notre Dame d’Afrique, mais aussi Saint Joseph, qu’il appelait affectueusement l’économe de Nazareth et le procureur de toutes ses œuvres, et puis, bien sûr, le grand apôtre Paul. 

Le Cardinal nous invite à suivre une voie, celle de l'amour au service de l’Afrique et de tous les Africains. Il nous donne un cadre précis, et des directives pour baliser notre route. Mais chacun, chacune, peut maintenant se laisser conduire par l'Esprit, selon ses charismes propres, et sa sensibilité spirituelle personnelle. 

Un tel sera plutôt ignatien, un autre sera plutôt franciscain ou thérésien, qu’importe. Tout cela est bien, et ne nous écarte pas de la spiritualité du Cardinal. «Aime », c'est l'essentiel. Aime l’Afrique, aime tous les Africains, c'est aussi essentiel pour nous. Entre dans un cadre, même si depuis cent cinquante ans, il a changé de forme. Accueille en toi le radicalisme du Cardinal fonda­teur. Ne te paie pas de mots. En tout, aime toutes les « âmes » selon l’expression du fondateur : tes confrères, tes consœurs et tous les peuples de l’Afrique, Marie, surtout Jésus, et Dieu ton Père : Dieu, ce Dieu qui te donne l'Esprit de la Mission, ce Dieu à qui tu dis, jour après jour : Tout entier, je suis à Toi. AMEN

Envoie tes messagers, Seigneur, dans le monde entière

Envoie tes messagers pour qu’ils chantent ta Gloire, Alleluia !!!

Père Alain Fontaine, M.Afr.