Chaque dimanche, le Christ nous rassemble pour nous nourrir
de sa parole et de son eucharistie. Tout à l’heure, à la fin de la prière
eucharistique nous dirons ceci : Permets qu’avec les apôtres et tous les
saints qui ont fait ta joie au long des âges, nous ayons part à la vie
éternelle. 10 nouveaux saints seront canonisés ce matin à Rome. Parmi eux, le
Père Charles de Foucauld qui a été très proche des missionnaires d’Afrique au
Sahara. Il meurt assassiné en 1916 et plusieurs années plus tard vont naître de
nombreuses communautés cherchant à vivre sa spiritualité. Il y a ici à
Ouagadougou une communauté des petites sœurs de Jésus et notre cardinal
archevêque Mgr Philippe Ouédraogo appartient à la communauté sacerdotale de
Charles de Foucauld. Demandons par l’intercession des saints de toujours
témoigner avec courage de notre foi et reconnaissons-nous pécheurs au début de
cette Eucharistie.
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Reprenons
la dernière phrase de Jésus que l’on vient d’entendre : « Je vous donne un
commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai
aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. »
L’Amour peut-il faire l’objet d’un commandement ? Beau
sujet pour une épreuve de philosophie au bac. Cependant, comme Jésus est notre
maître sans être professeur, il n'attend pas de nous une dissertation mais une
conversion. « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les
autres. » On peut entendre ce « comme » de deux façons. Il peut être le synonyme
de « puisque je vous ai aimés »: le cœur de Jésus est la source de l'amour qui
irrigue la communauté des disciples. Pourrais-je m'émerveiller d'être aimé par
le Christ sans aimer à mon tour ceux qu'il me donne pour frères et sœurs ? «
Comme je vous ai aimés » peut aussi vouloir dire « à la manière dont je vous ai
aimés », c'est-à-dire jusqu'au bout, jusqu'au don de soi.
Or quel disciple, si fervent soit-il, se sentirait capable
d'imiter l'amour du Christ pour l'humanité, amour qui l'a conduit jusqu'à la
croix? Le Père de Foucauld dont je parlais à l’entrée avait cousu un cœur
surmonté d’une croix, sur son vêtement. C’était une manière de traduire son
attachement au Christ qui nous a donné la plus belle preuve d’amour sur la
croix.
Dans l’encyclique du pape
Benoît XVI, en 2005, « Deus caritas est », on lit un passage fort
intéressant. Le pape dit qu’en grec, il y a beaucoup de verbes pour dire aimer.
En français, nous sommes un peu pauvres, nous n’en avons qu’un seul. Je dirai
aussi bien j’aime mon épouse et que j’aime la salade !!!
En anglais, nous avons deux verbes : love and like, c’est
déjà mieux et en grec plusieurs selon qu’il s’agit d’amour d’amitié (phileo en
grec : vous connaissez la ville de Philadelphie aux États-Unis… littéralement
la ville de la fraternité où l’on s’aime comme des frères). On peut aussi s’aimer
d’amour entre frères et sœurs dans la famille, d’amour pour sa patrie, d’amour
dans le couple, d’amour de camaraderie et d’autres encore, chaque fois, un
verbe différent. Enfin, toujours en grec, il y a l’amour qui ne retient rien,
l’amour parfait, l’agapè. C’est l’amour dont Jésus nous a aimés. C’était si
bien compris par les premiers chrétiens que lorsqu’ils célébraient
l’eucharistie, il disait : nous célébrons l’agapè. C’est le verbe que
Jésus emploiera au bord du lac, quand il rencontre Pierre après la
résurrection : Pierre m’aimes-tu ? En clair : m’aimes-tu d’un
amour d’agapè qui se donne complètement, qui ne retient rien pour lui. La
troisième fois, il changera de verbe pour adoucir la question, m’aimes-tu d’un
amour d’amitié… suis-je désormais ton ami ?
Ne baissons pas les bras. Le commandement de l'amour fraternel
est un chemin où nous marchons pas à pas, jour après jour. Jésus ne veut ni
nous coincer ni nous prendre en défaut.
Son commandement pourrait-il être écrasant alors qu'il a dit: «Mon joug est facile à porter, et mon
fardeau, léger» (Mt 11, 30)? Plus nous progressons dans l'intimité avec
notre Seigneur, plus nous expérimentons que son amour libère en nous la
capacité d'aimer. Le secret pour aimer, c'est d'abord de nous laisser aimer tel
que nous sommes. Vainqueur de la mort et du péché, le Christ vient faire toutes
choses nouvelles, changer notre cœur de pierre en cœur de chair.
Selon les spécialistes, le Père de Foucauld ne s’est pas
converti une fois mais plusieurs fois. Et toutes ces étapes l’ont rapproché de
Jésus jusqu’à sa dernière conversion qui a fait de lui le petit frère
universel. À Tamanrasset il tombe malade et c’était dans une période très
difficile de sécheresse… le bétail était décimé. Pour guérir le père Charles, les touaregs qui
l’entourent vont parcourir des kilomètres et des kilomètres pour lui trouver du
lait. Et ils vont le guérir. Alors
Charles, le savant, l’homme énergique se rend tout à coup dépendant de ces
pauvres. Ils lui sauvent la vie et à son tour, il va devenir le petit frère de
ceux et celles qui en avaient fait leur frère dans un si beau geste de
solidarité.
Cet élan d’amour
a traversé toute l’histoire de l’Eglise et cette inspiration a continué de
souffler dans la vie des communautés chrétiennes : au temps des persécutions
les chrétiens des catacombes se soutenaient dans un amour mutuel qui faisait
l'admiration de leurs persécuteurs.
Oui! La Parole de Dieu reçue et mise
en pratique dans l'amour mutuel est capable de créer des "cieux nouveaux,
une terre nouvelle" comme le dit la deuxième lecture. Notre monde
d'aujourd'hui comme celui d’hier a besoin de ce témoignage. Les luttes de
pouvoir pour dominer le marché, les dérives des radicalismes ne peuvent être
guéris que si les disciples de Jésus savent apporter, avec confiance et avec
l'aide de l'Esprit Saint, le témoignage qu'autre chose est possible en vivant
cette charité fraternelle qui va au- delà des conflits et au-delà des
frontières de toutes sortes.
Tournons, en
terminant, notre regard vers le parfait visage de l’amour miséricordieux du
Père qu’est le Seigneur Jésus Ressuscité. Il est là « au cœur de nos vies »
comme on le chante parfois à la messe. Nous le rencontrons maintenant dans le
Pain et le Vin consacrés qu'il donne pour la vie du monde.
Le témoignage des
saints, et dix s’ajoutent au calendrier ce matin, est toujours porteur de
renouveau. Le jour de son assassinat on a retrouvé une lettre qu’il venait
d’écrire à sa sœur. Il terminait la lettre en écrivant ceci : On n’aime
jamais assez ! Puisse cette parole nous inviter à aimer toujours plus, à
l’exemple des saints et des saintes qui ont fait la joie du Seigneur au long
des âges.
Tu es là au cœur de nos vies et c’est toi qui
nous fait vivre, tu es là au cœur de nos vies, bien vivant ô Jésus
Christ !
Père Alain Fontaine