vendredi 29 mars 2019

LE DESIR DE L’ETRE HUMAIN

Jérôme Bernard UTCHUDI / R.D.C. (Kindu)


Nous sommes des êtres de désir[1]. Dans la manière dont nous percevons le monde, nos actions et nos réactions peuvent être vues comme mélange chaotique de pensées, de souvenirs, d’émotions, de sentiments, de désirs et de peurs. Mais, imaginons-nous un peu, chacun selon ses origines, sa culture, son pays natal, qu’est-ce qu’un jeune (fille ou garçon) de 17 à 25 désire-t-il ?

Presque la totalité rêvent un monde meilleur (transformer le monde), une vie heureuse, donner sens à sa vie, semer la joie et cultiver la paix, être reconnu ou utile dans la société, avoir le pouvoir pour diriger les autres, devenir libre ou autonome, jouir d’une bonne santé, avoir une bonne amitié (le sens d’appartenance), avoir un bon travail, une belle femme (un bon mari), etc.

Le problème réside dans la multiplicité et variété de désirs qui s’opposent en nous. Comment allons-nous découvrir ce que nous désirons vraiment ? Par contre, si nous creusons un peu, par exemple le désir d’être reconnu dans la société, au fond il y a une peur qui se cache : peur du rejet, de ne pas être considéré par les autres, être sans valeur dans la société. Ou bien le désir d’expérimenter de nouvelles choses avec le risque de ne pas être à la mode, à la une ; surtout s’il n’est pas bien purifié, engendre quantité de contrariétés : peur d’être en retard au lieu de découvrir les nouvelles choses qui apparaissent (avoir un nouveau téléphone, un ordinaire, une voiture etc.), peur de la mort (mourir sans avoir vécu, faire ce qu’on pourrai faire)[2].

La manière dont nous choisissons de faire quelques choses dans notre vie, c’est pour que les autres nous acceptent. L’on peut être aimé ou aimé une personne, devenir puissant ou riche, être heureux, désirer une bonne amitié ; tout cela c’est bon ! Mais le danger est de se faire un masque pour plaire et être accepté par les autres. Ce n’est plus encore la liberté mais une perte de soi, de son identité, une contagion sociale qui s’installe en nous. Certes, reconnaissons qu’il existe aussi des désirs qui ne cachent aucune peur en soi, non plus un mécanisme de refoulement : le désir de rêver un monde meilleur, donner sens à sa vie, être heureux, semer la joie et cultiver la paix, etc., je pense qu’il n’y a pas de plus bonne chose utile que cela.

            Nos désirs les plus superficiels sont toujours brillants et souvent exigeants. Une fois satisfaits, ils nous laissent souvent avec un arrière-goût d’insatisfaction (une curiosité de savoir plus, d’expérimenter davantage) voire une blessure. On peut penser à un homme ou une femme qui rêve de grand-chose : sauver les gens, amener le pays dans une bonne démocratie (pas de corruption, d’injustice, de violence), fonder une meilleure famille possible, être grand professeur d’université, créer une entreprise, etc. Mais semble-il après tout, on ressent encore quelque chose qui nous manque, un vide voire une tristesse.

La soif de l’homme :

J’aime beaucoup les passages des Évangiles qui révèlent certaines caractéristiques de l’homme qui cherche, désire quelque chose dans sa vie ; soit un miracle, et Jésus qui leur pose une question essentielle : que cherchez-vous?  Il s’observe dans nombreux cas, cette question reste sans réponse.  Si nous prenons consciemment de notre désir le plus profond qui nous habite, nous aurons sans doute fait une découverte de la volonté de Dieu. Mais quelle est sa volonté ?

La volonté de Dieu ne peut pas se confondre ni s’opposer avec notre réalité (histoire) humaine. Sa volonté, c’est notre liberté. Il veut que nous découvrions ce que nous voulons vraiment et qui nous sommes réellement[3]. On comprend bien c’est loin d’être un masque, un jeu ou un théâtre. Si nous voulons tirer profit de cette conception, avouons qu’il faut un saut vers le for intérieur.

Quand on lit bien le texte de la genèse, l’on constante une chose tout au début, que la création est une séparation : le Créateur sépare la nuit de jour, la lumière de ténèbres, le ciel et la terre, etc. Tel est aussi le rôle que joue la loi morale que le Créateur voulait laisser au cœur de l’homme. Elle doit permettre non pas à réduire notre liberté ou notre créativité de transformer l’univers au temps qu’on peut, mais à distinguer le bien à faire et mal à éviter.

L’apôtre Paul n’est pas resté hors de cette question du désir qui habite l’être humain. Il parlait du désir de la chair où la personne est livrée à ses seules forces, attirée vers les choses sensibles, terrestres. Elle est privée de son unité intérieure par les désirs de la chair vers une dégradation de l’amour, du sacré, de l’union, de la vérité. Par contre, dans un bon discernement, sous la mouvance de ce qu’il appelle « esprit », c’est cette part qui fait aspirer aux choses d’en haut, le bien suprême, c’est notre but sur la terre.

La loi : chemin vers la liberté

Toujours dans la genèse, « de tout arbre du jardin tu pourras manger », Dieu donne à l’homme une liberté qu’il peut manger tout sauf l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Premièrement, on voit une liberté limitée. Donc si l’on se considère maître ou libre de tout manger, il y a risque de se perdre. Il y a une sorte de barrière qui se place devant nous[4]. C’est cette barrière exprimée sous forme d’interdit qui fait naitre en l’homme la curiosité de se demander pourquoi ne pas manger l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? Peut-être c’est une chose précieuse qu’il ne veut pas que nous chassions ! Évidemment, dans cette quête de savoir plus et expérimenter tout, il va tout faire afin de gouter ce qui est de cet arbre. En oubliant que tout nous est permit mais tout n’est pas utile, disait Saint Paul. Si l’on s’aperçois que la loi de Dieu est amour, pourquoi doit-il nous interdire ? Mais à défaut de notre limite de tout savoir et tout expérimenter, l’on tombe dans l’hallucination.

Dans l’Évangile de Saint Marc 10, 17 ; il y a eu un bon dialogue entre Jésus et un bon homme qui voulait avoir la vie éternelle. Il pose à Jésus une question importante : Maitre, que dois-je faire pour entrer dans le royaume des cieux ?Il était facile pour Jésus de lui dire directement ce qu’il allait poser comme acte pour obtenir ce qu’il désirait. Mais Jésus, sachant l’importance de la loi dans la vie de l’être humain, le renvoie et le rappelle d’abord ce qui est dit d’après la loi. Il commence d’abord par là. Que disent les commandements ?Pour beaucoup, ils peuvent oublier de revenir sur ce chemin et passer vite en besogne. C’est comme un chrétien qui se dit bien connaître la bible sans jamais lire l’Ancien Testament. Il se contente seulement du Nouveau Testament, parce que c’est là où Dieu est amour, miséricordieux, patient, etc. Non ! la loi est très importante dans notre vie, et il va de soi pour tout être humain de faire connaissance et l’observer.

Limite et dépassement de la loi

Il est utile dans notre vie de nous confronter à la loi, mais nous pouvons la pratiquer au tant que cela va dans le sens de faire le bien. Car elle est le principe d’un discernement qui peut nous faire voir le conflit qui réside en nous ; mais elle est impuissante à faire vouloir tout. Elle reste une première norme de notre discernement, mais qui doit nous réveiller, inciter et pousser à aller plus loin. Car l’accomplissement parfait de la loi est l’amour (Romains 13, 10). C’est pourquoi le désir ne peut être contrôlé que par le désir le plus fort. Il ne peut être contrôlé par la volonté personnelle ou par nos propres forces.

Vouloir, c’est pouvoir

                Que voulez-vous ? Si nous sommes vraiment des êtres de désirs, parfois, il est impérieux de nous arrêter un peu et nous poser cette question. La vie humaine semble être remplie de variété de paradoxes. Nous voulons souvent des choses que nous ne savons pas à quoi elles nous serviront. Cependant il reste toujours important d’exprimer ce qu’on veut, même s’il reste une zone d’ombre de savoir exactement ce qui est bien à notre épanouissement. N’ayons pas peur d’exprimer ce que nous sentons !

                C’est l’ex-président des États-Unis Michel Obama qui aimait bien ce slogan, qui est devenu après populaire : America,if you want, yes you can. Faire ce qu’on peut sans se jalouser ou se donner des excuses. A la question des disciples de fils de Zebedée, Jacques et Jean qui demandent à leur maître que l’un siège à sa droite et l’autre à sa gauche ; il leur a été répondu : pouvez-vous, comme moi boire à ma coupe et être baptisé au baptême que je serai baptisé ? Jésus passe de vouloirau pouvoir. Et il ajoute quant à siéger à ma droite ou ma gauche, il y a ceux pour qui cette place a été préparée. Quand nos désirs s’expriment en terme de souhaits, projets, en vérité nous ne savons pas ce que nous demandons ! Avec la relecture de notre histoire nous apaise et nous unifie, harmonise car elle parle d’un désir qui habite en nous depuis toujours.

Relire son histoire : le point de départ…

                Pourquoi revenir à son passé ? le présent, ici et maintenant, est une petite chose qui coule entre les doigts. L’histoire ne nous ment jamais. Le retour au passé ou à la mémoire fait unifier et grandir la personne dans tout ce qu’il veut entreprendre, son désir. En remontant du présent au passé, l’homme découvre les racines de son être[5]. Le souvenir lui donne un appui solide, une terre ferme à prendre son élan et reconnaitre son limite. Le nouveau pas est clair et possible. Mais d’abord en faisant une marche en arrière. Comme un cheval qui recule non plus pour fuir sa course du devant mais pour redoubler de force d’avancer plus vite que précédemment.

                Même si la société actuelle se méfie souvent du passé, vivre le présent c’est ce qui compte plus ; la relecture de notre histoire est précieuse. Elle peut paraître nocive dans un cadre qui lui est étrange comme par exemple le manque de silence intérieur, une vie sans repos, toujours en mouvement. Mais cherchez un environnement de prière qui favorise un bon état dame c’est.

                C’est aussi nécessaire de faire cette relecture devant quelqu’un qu’on juge bien nous écouter ; soit un ami (e), un copain (ine), un accompagnateur, etc. Puisque le fait même de s’exprimer dissipe les illusions, libère les rêveries, En suite, l’aide de l’autre peut maintenir l’équilibre du discernement dans la nuit la plus obscure, quelques points lumineux, qui, une fois nos yeux habités, sont autant de repères pour certifier que Dieu était là, et pour éclairer le reste de la route.

                Pour pouvoir arriver à découvrir l’aspiration profonde de l’être humain, il existe le chemin qui est souvent « moins fréquenté »[6], c’est celui de nos émotions, sentiments. Les désirs, les peurs, espoirs, colères, tristesses, joies sont comme les freins ou ténèbres de notre vie intérieure qu’il faut avoir semble-t-il le courage d’explorer pour percevoir la vraie lumière de notre désir profond. Néanmoins, comparées à nos pensées, idées ; nos émotions ne leurrent jamais. Ce voyage intérieur est à la fois une réussite pour se connaitre davantage et un point de départ de commencer une aventure de notre vie. Car disait Gandhi « le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même. » vivre ce n’est jamais fini. C’est un éternel commencement. Face à ceux qui rêvent d’un monde meilleur, semer la joie et cultiver la paix dans cette humanité qui nous est donnée, peuvent aussi aspirer de toutes leurs forces à devenir des hommes et femmes meilleurs. Puisque la terrible crise que notre époque traverse n’est ni d’abord politique, ni technique, moins religieuse, mais une crise d’hommes et femmes conscients de leur propre être. Les sciences et les techniques, bonnes en soi, ne peuvent qu’agrandir cet antagonisme. Ni le bien matériel, technique ne guérira jamais l’être humain de sa perpétuelle soif d’absolu[7]


Jérôme Bernard UTCHUDI/ R.D.C.(Kindu)



Bibliographie :
BIZOUARD Colette, Vivre la communication, Lyon, 8èChronique sociale, 2008.
ELLIS Albert et ARTHUR Lange, Maitrisez vos émotions, Bruxelles, Marabout, 1995. 
FROMM Erich, Aimer la vie, Paris, Ed. Desclée de Brouwer, 1988. 
GALINDO Emilio et DONAYRE F., Jeune prépare ton avenir. Pensée pour triompher dans ta vie, Bukavu, Kivu-presses, 2003.
GARCEAU Benoît, La voie du désir, Montréal, Médiaspaul, 1997.
PECK Scott, Le chemin le moins fréquenté. Apprendre à vivre avec la vie, traduit de l’amérique par Laurence Minard, Paris, Ed. Robert Laffont, 1987.
OSA LABRADOR Manu, Entretien sur l’éveil du désir spirituel, Bobo-Dioulasso (samagan), 2018. Inédit.




[1]Cf. B. GARCEAU, La voie du désir, Montréal, Médiaspaul, 1997, p. 7.
[2]Cf., M. OSA LABRADOR (Missionnaire d’Afrique), lors d’un entretien sur l’éveil du désir spirituel, le Mercredi 07.11.2018 à Bobo-  Dioulasso(Samagan), Inédit.
[3]Cf. G. HUGHES, cité par B. GARCEAU, La voie du désir, Paris, Médiaspaul, p. 24.
[4]B. GARCEAU, op.cit. p. 24-27.
[5]  M. OSA LABRADOR, Entretien sur l’éveil du désir spirituel,op.cit.
[6]M. SCOTT PECK, Le chemin le moins fréquenté. Apprendre à vivre la vie, trad. De l’Amérique par Laurence MINARD, Paris, éd. Robert Laffont, 1987, p. 14.
[7]Cf., E. GALINDO, Jeune prépare ton avenir ! Pensée pour triompher dans ta vie, Bukavu, Kivu-presses, 2003, p. 19.

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